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Avant-premières en sciences sociales

Chaque mois un auteur des éditions EHESS raconte son livre et partage sa recherche, son terrain à tout public

A VOS ORDRES! par EMMANUEL SAINT-FUSCIEN La relation d'autorité dans l'armée française de la grande guerre éditions EHESS Coll. En Temps & Lieux (23 euros)

Publié le 3 Janvier 2014 par nicolas valot

AVANT-PREMIERES EN SCIENCES SOCIALES ESPACE PUBLIC OUVERT A TOUS

A VOS ORDRES!
La relation d’autorité dans
l’armée fr
ançaise de la Grande Guerre.

par Emmanuel Saint-Fuscien paru aux éditions EHESS Coll. En Temps & Lieux (23 euros)

PRESENTATION DU TEXTE Par Nicolas Valot

De toute évidence voici un regard original sur un aspect central de la Grande Guerre : la relation d’autorité au sein de l’armée Française.

L’auteur approche avec une grande finesse analytique les deux polarités que sont l’obéissance (Weber) et le refus (Le Bon et Tarde) : deux mords d’un même étau nous invitant à percevoir comment gestes, mots, objets, atrocités et non-dits symbolisent, médiatisent et à la fois actualisent l’autorité.

Au fond il y a quelque chose d’indécidable et d’insaisissable dans le rapport entre autorité et obéissance : il y est à la fois question de doctrine, de coutume, de droit, de règlements de psychologie, de force, de croyance, de traits névrotiques, de comportement et de valeurs culturelles.

D’où vient la culture de l’autorité de la Grande Guerre ?

Que signifie commander ?

Comment entraîner ses hommes sous le feu ?

Comment accepter cela ? Qu’est-ce qu’un bon chef ?

A qui et surtout jusqu’où accepte-t-on d’obéir ?

Pièces d’archives du contrôle postal, sentences extraites des fonds de la justice militaire, mises à mort ou plus simplement carnets, récits : Emmanuel Saint-Fuscien égrène avec un sens de la nuance jusque là inégalé les contours d’une question au coeur de vives controverses dans l’historiographie du premier épisode guerrier mondial.

L’évolution des pratiques judiciaires au cours de la grande guerre permettent d’ouvrir une focale nouvelle sur les modalités d’encadrement, les mécaniques de la pression disciplinaire et l’évolution des liens hiérarchiques entre hommes du rang et officiers subalternes.

Elle invite à mieux comprendre les motivations individuelles dans l’activité guerrière et les manières de s’approprier les normes militaires.

Mais ne nous y trompons pas... ce « crack-up » majeur, comme aurait pu le dire Scott-Fitzgerald, que fut 14-18 n’est pas resté muet...

Les hommes, les consciences collectives sortent de là comme d’un cauchemar réversible dont l’effroi les poursuit jusqu’à ce que le réveil en ait dissipé la menace.

Un seul regard derrière, un seul, révèle à quel point l’autorité exercée, l’autoritarisme subi et vomi par une bataille trop grande pour tous (Deleuze) fut captée, littéralement happée par les discours politiques et la pédagogie scolaire qui se construit à partir des années 20.

Les intuitions et hypothèses testées puis articulées en laboratoire à propos de cette fêlure par Emmanuel Saint-Fuscien dans ce texte d’une rare finesse analytique trouvent des prolongements dans un programme de recherche d’un genre nouveau.

Il a initié un chantier de recherche nouveau sur l’histoire de l’obéissance scolaire en Europe au XX° siècle où, pour la France, Célestin Freinet lui même "poilu" et revenu blessé n'est pas loin comme contre exemple.

LA RECENSION QUI SUIT EST REDIGEE PAR ANNE JUSTINE PICARD, élève de terminale TES 2

"L’ouvrage d’Emmanuel Saint-Fuscien « À vos ordres » expose les recherches issues d'une thèse universitaire travaillée pendant 8 ans sur le thème « Autorité dans l’armée française pendant la Première Guerre Mondiale ».

Une thèse doit porter sur un sujet qui n’a jamais encore été traité. Ce maître de conférences à l'ehess nous rappelle que ce sujet dont on célèbre cette année le centenaire touche un nombre très important de personnes. Il s’agit de l’autorité des officiers au contact des hommes, des soldats. En effet, la Grande Guerre mobilisa plus de 8 millions de soldats encadrés par 850 000 officiers (dont 420 000 caporaux, le plus petit grade de l’armée, 270 000 sergents, ainsi que les sous-lieutenants, les lieutenants et les capitaines). Ces chiffres permettent de mesurer l’ampleur du phénomène social.

Cette thèse pose le problème de comment commander, ordonner et
comment obéir (lorsqu’on obéit). Il existe plusieurs façons d’obéir en tant
qu’acteur social. De manière plus générale : comment exercer l’autorité ?

I. Pourquoi ce sujet, ce livre ? Comment a-t-il écrit ?
II. Ce qui l’a surpris aux cours de ses recherches, ce qu’il a trouvé de
surprenant dans les archives.
III. Les principales conclusions de ce travail.

I. Pourquoi ce sujet, ce livre ? Quelles sont ses sources ?

Le sujet de l’autorité, de l’obéissance est très important car il couvre les
domaines économique, philosophique, sociologique, et historique. En effet, ces notions d’autorité et d’obéissance traversent nos vies.
Emmanuel Saint-Fuscien s’était toujours demandé comment il était possible d’en arriver à ces guerres, notamment la Première Guerre Mondiale, aussi terrible, avec un bilan humain de 10 millions de morts. Il pensait alors que l’un des facteurs était le fait que les hommes ne faisaient qu’obéir, du moins, la majorité. Hannah Arendt philosophe qui a suivi en 1960 et 1961 le procès du nazi Eichmann jugé à Jérusalem en tire que ce nazi n’était en fait, pas un « monstre », ni un psychopathe, elle y a vu la « banalité du mal ». Eichmann avait été pris dans la machine administrative et au fond, il s’agissait d’un « mal normal ». Emmanuel Saint-Fuscien a plus tard réalisé que les gens n’ont pas seulement été forcés, ils ont accepté. Les hommes ont consenti à la guerre.

Chaque science sociale a une particularité. L’historien doit travailler sur des sources, c’est une obligation, surtout pour une thèse. Il dut se constituer un corpus.

La première source, furent les écrits militaires d’avant guerre avec notamment la sécularisation, qui enleva Dieu comme source principale d’autorité.

Etant donné que les officiers militaires étaient en majeure partie chrétiens, ces écrits furent des indices intéressants. M Saint-Fuscien a lu avec attention 150 livres de militaires qui lui ont permis d'identifier le type de rapport à l’autorité et à l’obéissance avant la Grande Guerre.
La deuxième source approcha les témoignages des militaires de différents grades qui ont
vécu cette guerre, recueillis dans des journaux intimes, des romans …
La troisième source, les archives, notamment celles de la Défense conservées à Vincennes.

Il s’agit par exemple des règlements militaires.
La quatrième source fut le contrôle postal. Pendant la Première Guerre Mondiale,
les autorités se sont inquiétées du contenu du courrier des soldats aux familles. Elles ont alors commencé à contrôler, à surveiller la correspondance des hommes et des rapports leurs étaient transférés. Le courrier des soldats permet de voir les variations du moral des hommes à la guerre. De cette manière, un profil apparaît, celui du « bon chef » pour un soldat de la guerre de 1914.
Enfin, la cinquième source trouve son origine dans les archives judiciaires qui sont également un outil de mesure des variations du moral des soldats, notamment avec les conseils de guerre, environ 200 000 pendant ou à l’issue de la Première Guerre Mondiale. Emmanuel Saint-Fuscien étudia une division (environ 15 000 hommes à effectif constant) avec 1 329 conseils de guerre et leurs décisions de justice. Il rassembla alors toutes les informations (nom, profession, origine ...) concernant les soldats, dans un logiciel qui les regroupe en fonction de leur profession, de leur âge, de leurs origines …


II. Ce qu’il ne s’attendait pas à découvrir dans ses recherche...

1. L’obéissance est démentie tout au long de la guerre. Emmanuel Saint-Fuscien a découvert que les relations d’autorité étaient moins strictes à la guerre que dans les casernes ou l’éducation. L’armée n’était jamais disciplinée, les autorités servaient en fait à maintenir les hommes au front. Dès l’entrée en guerre, août 1914, ce fut une « pagaille
généralisée », la mobilisation fut désordonnée. De plus, les soldats ne respectaient pas les règlements militaires et notamment l’uniforme surtout en hiver, une saison durant laquelle ils tentaient de se réchauffer par tous les moyens possibles. De plus, ils pillaient les villages français et s’enivraient.

2. L’attention des soldats à leurs officiers.
Dans les courriers, E. Saint-Fuscien trouva beaucoup de preuves d’attention des soldats pour leurs officiers. Ceux-ci d’ailleurs savaient qu’ils étaient regardés et se sont adapté à ce regard. Entre le début et la fin de la guerre, les officiers ont changé leurs vêtements et accessoires ; ainsi, ils étaient munis d’un sabre au début de la guerre, et d’une canne à la fin de la guerre. De plus, ils retirèrent quelques galons afin qu’ils soient moins
apparents, étant donné que les Allemands visaient les officiers.

Au cours de la Grande Guerre, les gradés se sont même habillés de plus en plus comme leurs hommes. Par ailleurs, des « brisques » ornaient les bras des soldats indiquant leur nombre d’années au front. C’était là un symbole.

Aussi, dans les contrôles postaux, E. Saint-Fuscien a remarqué que certains objets pendant la guerre étaient très significatifs comme la montre, les jumelles et la boussole qui étaient des objets associés au chef. La montre signifiait le contrôle du temps et les jumelles ainsi que la boussole, le contrôle de l’espace. De plus, étant donné qu’au front, les paysages changeaient beaucoup à cause des obus, les soldats n’avaient pas de repères visuels, et risquaient de tomber aux mains de l’ennemi. Cela pouvait donc être empêché grâce au chef qui contrôlait l’espace. Les soldats de la Première Guerre Mondiale assistèrent à une transformation des objets de l’autorité.

3. L’autorité du chef se négocie.
En effet, les soldats pouvaient négocier tacitement, c’est à dire, en faisant des pactes. Il s’agit de la mise en place de règles différentes du règlement, de la norme.

Comme les conditions de vie pendant la guerre étaient déplorables, que le nombre de morts de blessés ne cessait d’augmenter, les soldats bénéficiaient d’une compensation :

ils pouvaient désobéir au règlement à condition de toujours obéir en 1ère ligne, pour ce qui concerne l’activité combattante, afin de ne pas mettre en péril la vie d'autres soldats. Ainsi, aucun jugement, aucune sanction n’a eu lieu pour pillages, souillages, il s’agissait alors d’un terrain d’entente.


III. Les conclusions de ce travail.

L’autorité s’est énormément transformée de 1914 à 1918. Elle a connu de profondes évolutions. L’autorité militaire avait pour habitude de donner l’image d’un officier viril, courageux, qui savait contrôler ses émotions. Mais les soldats sont devenus aussi courageux, virils que les officiers et ceux-ci ont dû alors trouver de nouvelles sources d’autorité.

Ainsi, pour la maintenir :

1. Ils devaient posséder des compétences techniques, étant donné que la Grande Guerre était une guerre industrielle avec une grande évolution des techniques de guerre que les officiers devaient alors maîtriser, comme le matériel de transmission (téléphone, TSF), les nouvelles armes, les chars …

2. L’affection fut un élément important et bien présent dans les courriers des soldats. En effet, l’officier devait « aimer » ses hommes. Il s’agit d’un « amour mâle », viril, du père, un amour paternel qui tendit vers une « maternalisation » (terme de E. Saint-Fuscien) : l’officier doit aller dans des registres féminins pour plaire aux soldats, il est question notamment de consolation, besoin auquel les officiers devaient répondre, mais aussi de « tendresse », mentionnée dans les courriers des soldats. Ce à quoi s’ajoute la prière à Marie. Ainsi, les officiels devaient aller vers des gestes maternels comme mettre le premier pansement d’urgence aux hommes, ce qui renforçait leur autorité. Les soins avaient pourtant l‘habitude d’être associés à la mère. Cette « maternalisation » s’explique par le fait qu’une grande partie des soldats étaient très jeunes. Ils avaient quitté leur mère en pensant que la guerre serait courte. Ainsi, ils pouvaient sentir un réconfort auprès de leur officier.

3. Et plus connue, l’exemplarité devait caractériser les officiers comme le contrôle de soi face à la peur. Cependant, pendant la Grande Guerre, les rôles s’inversent : les soldats vont commencer eux aussi à donner l’exemple. Cela dé-hiérarchise la place de l’officier.
L’officier de la Grande Guerre doit répondre aux exigences morales de ses hommes. De plus, il doit fournir des qualités nouvelles que sont les compétences techniques et l’affection, exigences qui sont considérées comme terribles pendant la Première Guerre Mondiale. Les conséquences après guerre de cette transformation de la représentation de l’autorité restent à étudier, tels les effets sur les officiers transformés qui peuvent influencer leur manière d’exercer leur travail et leur autorité."


Anne-Justine PICARD, T ES 2

Emmanuel Saint-Fuscien ...la gestuelle en acte d'un chercheur...
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Emmanuel Saint-Fuscien

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